L’histoire de la course au large a été profondément marquée par l’émergence de trimarans révolutionnaires qui ont repoussé les limites de la performance maritime. Dès la fin des années 1960, le Pen Duick le trimaran futuriste conçu par André Allègre pour Éric Tabarly a posé les fondations d’une nouvelle ère dans la navigation océanique. Avec ses vingt mètres de longueur et ses dix mètres de largeur, ce voilier en Duralinox construit aux Chantiers de la Perrière à Lorient incarnait une audace technique sans précédent. Ses deux mâts profilés pivotants équipés de grandes voiles lattées représentaient une innovation majeure pour l’époque. Bien que Tabarly ait dû abandonner sa deuxième participation à la transat anglaise en 1968 suite à un abordage avec un cargo et des avaries de pilote automatique, le bateau a connu une destinée légendaire. Alain Colas l’a racheté et remporté la transat anglaise en 1972 en vingt jours et treize heures, avant de le renommer Manureva et de renforcer la flottabilité de ses coques pour entreprendre un tour du monde en solitaire en 1973. La disparition tragique de Colas et de Manureva en 1978 lors de la Route du Rhum a marqué durablement les mémoires, tout en consolidant la légende de ce trimaran précurseur.
Les révolutions technologiques du trimaran multicoque
Architecture audacieuse et design révolutionnaire
L’évolution des trimarans de course au large a connu une accélération spectaculaire depuis les années 2000. Les maxi-trimarans de classe Ultim représentent aujourd’hui le summum de la performance avec leurs dimensions imposantes de trente-deux mètres de long et vingt-trois mètres de large. Ces géants des mers se distinguent par une plateforme lisse révolutionnaire et un cockpit intégré directement dans la coque, une disposition qui améliore considérablement l’aérodynamique et la stabilité. Le Gitana 17, lancé en 2017 et piloté par Charles Caudrelier sous les couleurs du Maxi Edmond de Rothschild, a été le premier maxi-trimaran spécifiquement conçu pour voler en haute mer grâce à ses foils. Cette innovation technologique permet au bateau de s’élever au-dessus de l’eau et de réduire drastiquement la traînée, offrant des performances inédites.
Le Sodebo Ultim 3 de Thomas Coville, mis à l’eau en 2019, illustre parfaitement cette quête d’innovation avec un cockpit placé à l’avant du mât, une configuration audacieuse qui procure une meilleure visibilité et un contrôle optimisé. Le bateau peut atteindre des vitesses vertigineuses de quatre-vingt-douze kilomètres par heure. Le trimaran SVR-Lazartigue de François Gabart et Tom Laperche, sorti en 2021, combine quant à lui performance et esthétisme tout en intégrant des bulles protectrices pour le marin et un système de pilotage par volant. Cette recherche constante d’optimisation vise à permettre aux voiliers de voler plus tôt, mieux et plus longtemps, repoussant sans cesse les frontières du possible.
Matériaux composites et performances aérodynamiques
La construction des trimarans modernes repose sur des matériaux composites ultralégers et résistants qui garantissent à la fois solidité et légèreté. Le Groupama 3, mis à l’eau le 7 juin 2006 avec ses trente-et-un mètres et demi de longueur, ses vingt-deux mètres et demi de largeur et son poids de dix-huit tonnes, disposait d’un mât de trente-huit mètres et quatre-vingt-dix centimètres de haut et d’une grand-voile de trois cent cinquante-six mètres carrés. Ce bateau a établi des records remarquables dont la Route de la Découverte en neuf jours et treize heures, la traversée de l’Atlantique Nord en quatre jours et dix-sept heures, et une distance parcourue en vingt-quatre heures de sept cent six milles. Ces performances témoignent de l’efficacité des innovations apportées aux structures des trimarans.
Les bateaux de la classe Ultim actuels intègrent des foils qui leur permettent littéralement de s’envoler au-dessus de l’eau et d’atteindre des vitesses de cent kilomètres par heure. Les systèmes d’autonomie énergétique ont également progressé avec l’installation de panneaux solaires et d’éoliennes embarqués, rendant ces voiliers capables de naviguer sans recourir aux énergies fossiles. François Gabart, qui détient le record du tour du monde en solitaire réalisé en quarante-deux jours et seize heures, a atteint une pointe de vitesse de quarante-sept virgule sept nœuds soit environ quatre-vingt-dix kilomètres par heure avec son SVR-Lazartigue. Les coûts de construction de ces géants oscillent entre douze et seize millions d’euros, auxquels s’ajoutent deux à quatre millions d’euros de frais de fonctionnement annuels, ce qui souligne le niveau d’investissement nécessaire pour rivaliser dans cette catégorie d’élite.
L’influence durable sur la navigation océanique moderne
Transformation des règlements et nouvelles classes de compétition
L’émergence des maxi-multicoques a conduit à la création de l’association des armateurs de maxi-multicoques nommée Ultim, qui structure désormais le calendrier des compétitions pour les années 2025, 2026, 2027, 2028 et 2029. Les courses peuvent se dérouler en équipage, en double ou en solitaire, offrant une diversité d’épreuves qui met à l’épreuve aussi bien les capacités techniques des bateaux que les talents stratégiques des navigateurs. Charles Caudrelier a remporté l’Arkea Ultim Challenge en février 2024 après une course de cinquante jours, dix-neuf heures, sept minutes et quarante-deux secondes, parcourant vingt-huit mille neuf cent trente-huit milles à une vitesse moyenne de vingt-trois virgule soixante-quatorze nœuds. Cette victoire illustre la constance et la fiabilité qu’exigent ces courses extrêmes.
Le Maxi Banque Populaire XI piloté par Armel Le Cléac’h, soutenu par une banque impliquée dans la course au large depuis plus de trente-cinq ans, a parcouru l’équivalent de cinq tours du monde soit cent vingt-cinq mille milles depuis sa mise à l’eau en 2021. L’Actual Ultim 3 d’Anthony Marchand, propriété d’Actual Group engagé dans la course au large depuis plus de vingt ans, a été racheté en 2025 sous le nom d’Actual Ultim 4 avec une construction prévue courant 2025. Ces investissements témoignent de l’attrait durable de la compétition et de l’importance des partenariats financiers pour maintenir des programmes de haut niveau. Les épreuves telles que la Transat Jacques Vabre, le Trophée Jules Verne et les 24h Ultim offrent des terrains d’expression variés où les équipages peuvent mesurer leurs progrès et repousser leurs limites.
Inspiration pour les générations de navigateurs et architectes navals
L’héritage des trimarans futuristes ne se limite pas aux performances en mer, il inspire également de nouvelles générations de navigateurs et d’architectes navals. Le trimaran Flo, ancien bateau de Florence Arthaud, a été racheté par Nautic Sport, une société fondée en 1995 par Emmanuel Le Roch. Cette initiative vise à promouvoir un tourisme nautique durable et à partager la passion de la mer en Baie de Quiberon à travers des sorties en petit comité, des séminaires responsables et des croisières privées à bord de Flo. La Baie de Quiberon a également accueilli une traversée en wingfoil et kitesurf jusqu’aux îles de Houat et Hoëdic les 7 et 8 juin, démontrant comment les innovations issues de la course au large influencent les pratiques récréatives et sportives.
Les architectes continuent de s’inspirer des leçons du passé pour concevoir des voiliers toujours plus performants et respectueux de l’environnement. Les courses en solitaire autour du monde prévues pour 2023 ont mobilisé des navigateurs comme Yves Le Blévec, Franck Cammas, Kevin Escoffier et Thomas Rouxel, tous déterminés à établir de nouveaux records et à repousser les frontières de l’exploration maritime. Après des difficultés rencontrées en 2018, la classe Ultim revient en force avec des bateaux volants plus performants et fiables. L’avarie du Maxi Edmond de Rothschild en octobre 2024, qui a entraîné un démâtage, rappelle néanmoins la rigueur nécessaire pour maintenir ces machines complexes en état de compétition. La collaboration artistique avec le Palais de Tokyo et les artistes Florian et Michael Quistrebert souligne également que la course au large nourrit une dimension culturelle et esthétique qui dépasse le cadre strictement sportif.
Charles Caudrelier, après avoir établi une nouvelle référence de temps sous réserve d’homologation en réalisant le parcours en solitaire de l’océan Indien en vingt jours, onze heures, trente-trois minutes et dix secondes, vise désormais le Trophée Jules Verne. Ariane de Rothschild a reçu le Prix Henri Kummerman pour son engagement dans le développement de la voile. Le bateau Gitana 17 a parcouru près de deux cent mille milles, témoignant de sa robustesse et de sa capacité à enchaîner les campagnes. Ces résultats confirment que l’héritage innovant du trimaran futuriste qui a marqué la course au large continue de se déployer, inspirant de nouveaux projets ambitieux et façonnant l’avenir de la navigation océanique pour les décennies à venir.



